Opéra Pagaï
Jouer sur la grande scène du monde… Sous la direction artistique de Cyril Jaubert, Opéra Pagaï est un collectif à géométrie variable. Son terrain d’action : l’espace public. En liaison avec les spectateurs in situ, ou à travers des interventions urbaines, ses propositions créent une « utopie de proximité » en modifiant notre perception d’un lieu, d’un quartier, d’une ville. Et inventent une manière nouvelle de partager une intimité, entre réalité et fiction, dans des espaces démesurés !
Entretien de Cyril Jaubert par Marc Blanchet en juillet 2019
Vos spectacles se déroulent dans l’espace public. Existe-t-il une origine à ce parti pris ?
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Je n’ai pas reçu de formation théâtrale. J’ai dû voir ma première pièce de théâtre à vingt ans, sans idée préconçue. Ce parcours, qui est celui de notre collectif, fait que nous avons commencé à mettre en scène des pièces de la période surréaliste, puis très vite éprouvé le désir de casser le quatrième mur. La découverte de spectacles de rue, utilisant l’espace public, bâtiment ou quartier en marge, transformation de lieux existants ou déambulation originale, nous a donné envie d’aller plus loin. Nous avons réalisé un spectacle loufoque en extérieur. Chaque endroit est une scène différente, d’ailleurs tout devient scène… Qu’il s’agisse de moi comme directeur artistique, ou d’autres membres de la compagnie, nous nous sommes rencontrés dans un I.U.T. d’animation socioculturelle, en formation art, culture et médiation. Cette formation dispensait une véritable connaissance en sociologie, via notamment l’étude des civilisations. Nous avons donc développé une culture générale avec la question de l’humain au centre. Cette expérience commune permet de comprendre l’autre versant de notre approche de l’espace public : notre rapport aux spectateurs et les interrogations qui traversent nos créations.
Un spectacle comme Safari intime est en ce sens parfaitement représentatif de vos spectacles, en proposant au spectateur d’observer l’espèce humaine…
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Safari intime met en scène des êtres humains à l’intérieur de leurs maisons. Les spectateurs sont réunis par un conférencier qui leur propose de se déplacer en petits groupes afin d’observer cet étrange animal. En se posant à la fenêtre, à deux mètres, nous créons un rapport d’intimité. C’est en quelque sorte l’inverse d’un théâtre de rue ! Notre travail peut autant s’inscrire dans ce type de créations, d’expériences, à la fois drôles et émouvantes (puisque le spectateur croise des scènes-clefs de la vie humaine), qu’en des entreprises de détournement, sans la moindre annonce, posées du jour au lendemain dans l’espace public, non sans complicité parfois avec les médias. Ce qui nous touche, c’est de passer du temps dans un territoire, d’aller à la rencontre de comédiens volontaires, et, en compagnie de nos propres comédiens, de les inviter à jouer. C’est passionnant de voir ensuite comment l’architecture interfère, comment la culture séculaire d’un lieu, d’une place ou d’un quartier, influe d’une ville à une autre.
Pour Safari intime, vous allez à la rencontre des habitants...
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Le principe de Safari intime est de respecter les êtres humains en face de nous, de ne pas les mettre dans une situation difficile. Quand je mets en scène des non-comédiens, je suis à l’écoute de ce qu’ils sont pour les distribuer au bon endroit avec des histoires crédibles dans leur bouche et dans leur corps. C’est une question de porosité avec eux afin d’être juste. Un non-comédien au bon endroit peut être très puissant. Certains excellents vraiment ; ce sont des natures. Toujours une question de sincérité ! J’ai rarement d’émotion dans une salle de théâtre. La trilogie « pendrillons, projecteurs, tapis de danse au sol » a un côté fabrique ! Il faut y croire, que ce soit pertinent, avec des comédiens hyperréalistes en quelque sorte !